L'ours dans les Pyrénées, une vision esthétisante et « politiquement correcte ».

En novembre 2004, la France s'est émue de l'abattage de Cannelle, la dernière ourse de souche Pyrénéenne. L'éradication progressive des ours sur notre territoire arrive à son terme, après des siècles d'exhibition, de chasse et de braconnage. Il ne reste aujourd'hui qu'une douzaine d'ours dont uniquement trois de souche locale.

Pour lutter contre la disparition des ours dans cette région, le Ministère de l'écologie a adopté un « plan de réintroduction d'ours slovènes », médiatiquement annoncé peu de temps après l'abattage de l'ourse. Le Ministre justifie son plan par ces mots : « Considérant que cette richesse constitue un patrimoine naturel d'une valeur esthétique, culturelle, scientifique, récréative et économique, il importe de la préserver et de la transmettre aux générations futures. Conserver et gérer ce patrimoine en bon père de famille est une question de dignité humaine (1) ».

Qu'en ressort-il ? Que la mort de Cannelle n'a en soi aucune importance ; ce qui émeut nos politiques, c'est l'image, le symbole que véhicule cette perte. L'animal en tant que tel n'intéresse personne, et c'est bien là que le bât blesse. Car ce même Ministère autorise l'exhibition d'ours bruns dans les cirques, zoos et auprès de montreurs d'ours, alors que ces exhibitions ont pourtant directement contribué à la disparition de la souche pyrénéenne... Aucune leçon ne semble donc avoir été tirée puisque naturalistes et politiques continuent de privilégier l'espèce sur l'individu, le symbole sur l'animal, le paraître sur l'être.

Les valeurs affichées par le Gouvernement le sont dans un but intéressé , d'image, de marketing, bref dans un but politique au sens négatif du terme. A cet égard, l'emploi de l'expression « plan de réintroduction » n'est pas anodin : il illustre l'emprise de la communication dans le monde politique. En effet, les ours slovènes n'ayant jamais habités les contrées pyrénéennes, c'est d'introduction qu'il s'agit, non de réintroduction (2). Certes, il est vrai que pour convaincre les foules et les endormir quant aux réalités cachées d'une telle opération, une « réintroduction » présente une nette supériorité sémantique : « réintroduire » renvoie au connu, à la tradition, « introduire » renvoie à l'inconnu, l'étranger, l'autre, autant de concepts que l'homme appréhende. « Ours des Pyrénées » et « ours dans les Pyrénées », la nuance est de taille.

En fait, la « réintroduction » des ours slovènes dans les Pyrénées françaises, à l'instar de la politique animalière actuelle, ne sert qu'une vision humaine, esthétisante et récréative de l'animal, décidée au détriment même de celui-ci, certes objet et non sujet de droit (cf.articles 522, 524, 528, 547, 564, 1894 du Code civil)... L'intérêt de l'ours est en l'occurrence nié dès lors que, non seulement ces ours, capturés en Slovénie, seront déracinés, mais encore, une fois « réintroduits » dans le massif pyrénéens, ils verront leurs jours comptés. En effet, la population locale (bergers, chasseurs...) demeurant hostile à leur présence, ils risquent fort d'être progressivement tués.

Ainsi, après le bouquetin, les Pyrénées ont perdu leurs ours, lentement mais inexorablement anéantis du fait de l'homme. Et si le plan de « réintroduction » de l'«ours des Pyrénées » sert à dissimuler notre action destructrice, la dissimulation fera long feu ; un jour plus proche qu'on ne l'imagine, il nous faudra avouer aux générations futures que nous avons été incapables de simplement laisser vivre des ours dans ces massifs montagneux.

Une fois de plus, la solution « cache-misère » de ce plan étant trouvée au détriment de l'animal, notre « dignité humaine », si chère au Ministre, n'en sort guère grandie.

Au total, ce qui importe, c'est de nous efforcer de sauvegarder ce qui peut l'être encore (loups, visons d'Europe, grands hamsters d'Alsace?) ; alors seulement nous saura-t-on grée d'avoir su conserver et gérer « en bon père de famille » ce patrimoine universel que constituent la Terre et sa faune.

Par Camille Koering et Franck Schrafstetter

(1) http://www.ours.ecologie.gouv.fr/html/_3_4_31_.php
(2) Le patrimoine génétique des ours bruns des Pyrénées est distinct de celui des ours bruns slovènes.
Publié le: 
01/01/2006